Baie de Somme, l’éternel ballet des sables et du ciel

Entre les marées qui redessinent sans cesse les contours du sable et le ciel immense qui s’y reflète, la Baie de Somme déploie une poésie discrète. Ici, le temps s’étire au rythme des vagues, des oiseaux migrateurs et des maisons de brique rouge, gardiennes d’histoires salées.

Article posté le
2 novembre 2025
On arrive souvent par la route qui serpente le long de la côte, entre champs de blé et polders. Puis, soudain, elle se dévoile : une étendue si vaste qu’on la prend d’abord pour la mer. Pourtant, c’est bien la Baie de Somme, ce corps vivant où l’eau et le sable respirent au rythme des marées. Ici, le ciel domine, les nuages filent bas, et la lumière se transforme d’heure en heure, comme si le temps hésitait entre deux éléments. Baie de Somme, paysage de la baie sous une lumière douce La première fois qu’on foule le littoral de Picardie, un silence particulier nous saisit. Non pas celui, pesant, des terres closes, mais un silence vibrant, traversé par les cris des mouettes, le clapotis contre les pilotis et le murmure du vent dans les roseaux. Les maisons aux façades de brique rouge, accroupies sur le port, semblent veiller depuis des siècles. Elles ont vu défiler pêcheurs, marins et contrebandiers, et gardent encore l’odeur tenace du sel et du bois vieilli. Ici, tout s’organise autour des marées. Deux fois par jour, la mer se retire, abandonnant des kilomètres de sable où se reflètent les nuages. On arpente alors un miroir liquide, entre flaques lumineuses et bancs de coquillages. Les enfants courent, les chiens poursuivent les crabes. Plus loin, des cavaliers traversent la baie à marée basse, soulevant des gerbes d’écume sous les sabots. Un spectacle à la fois paisible et sauvage, comme si la nature jouait à se métamorphoser. La Baie de Somme est aussi un sanctuaire pour les oiseaux. Des milliers d’entre eux – bernaches, spatules, courlis – y font halte lors de leurs migrations. Au parc du Marquenterre, on les observe depuis des cabanes discrètes, retenant son souffle, comme si l’on surprenait un mystère. Les guides, à voix basse, désignent une aigrette garzette ou un chevalier gambette. On comprend alors que cette baie n’est pas qu’un décor, mais un écosystème fragile, une escale vitale pour ces voyageurs à plumes. À marée haute, le paysage se transforme. L’eau engloutit les bancs de sable, efface les chemins, et la baie redevient un bras de mer. On grimpe alors sur les digues, on suit des yeux les voiliers glissant vers Le Crotoy, on écoute le vent siffler dans les herbes. Parfois, un phoque gris émerge, museau luisant, avant de disparaître dans un clapotis. Ces apparitions furtives donnent l’impression de pénétrer un monde à part, où l’humain n’est qu’un invité. Baie de Somme, étendue d’eau et de ciel sous une lumière changeante Les habitants racontent que la baie a son caractère : tantôt douce comme un lac au petit matin, tantôt redoutable quand la brume s’épaissit et que les courants s’agitent. Ils évoquent aussi les « passeurs », ces hommes qui guidaient autrefois les voyageurs à travers les sables mouvants. Aujourd’hui, ce sont les guides naturalistes qui décryptent ces paysages : traces dans la vase, plantes halophiles, ou simplement l’art de s’asseoir pour admirer le soleil couchant derrière les dunes. On pourrait passer des heures à arpenter les sentiers qui bordent la baie, à pédaler le long des canaux, ou à déguster des moules-frites dans une auberge, un verre de cidre local à la main. Pourtant, c’est souvent dans l’immobilité que la magie opère : quand le vent fouette le visage, qu’un cri d’oiseau résonne dans le lointain, que la lumière danse sur l’eau. La Baie de Somme ne se livre pas d’emblée. Elle se découvre pas à pas, marée après marée, comme un récit qu’on murmurerait. Et quand vient l’heure du départ, on emporte avec soi le goût du sel, le souvenir d’un ciel sans limites et l’envie, déjà, d’y revenir. Autour de la baie, les escapades ne manquent pas. À quelques kilomètres, Abbeville et ses musées rappellent que cette région cultive aussi une âme d’artiste et d’historien. Plus au sud, les hortillonnages d’Amiens offrent un contraste de verdure apaisante. Pourtant, c’est toujours vers la baie que les regards reviennent, vers cette étendue où la terre et l’eau, sans cesse, se cherchent, se quittent et se retrouvent.