
On ne s’y attend pas, au détour d’une route de Savoie, entre Chambéry et les premières pentes des Bauges. Soudain, entre deux collines boisées, il se révèle : une étendue d’eau d’un bleu profond, presque irréel, posée là comme un miroir oublié. Le lac d’Aiguebelette n’a pas la renommée de son voisin Annecy, et c’est bien ainsi. Ici, point de foule ni de front de mer surpeuplé, mais le silence, seulement troublé par le clapotis de l’eau contre les rochers et le chant des oiseaux dans les roseaux.
On s’arrête sur le bas-côté, le temps que les yeux s’habituent à cette lumière mouvante. Le soleil de fin de matinée glisse sur les flancs de la montagne et se fragmente en mille éclats à la surface du lac. L’air, frais et vivifiant, porte une odeur de résine et d’eau vive. On inspire profondément, comme pour garder en soi cette première impression : celle d’un lieu à la fois sauvage et accueillant, où le temps semble s’être arrêté.
Un lac aux reflets d’histoire
Les riverains le disent : le lac d’Aiguebelette est le plus petit des grands lacs alpins, mais aussi le plus chaud. Ses eaux, nourries par des sources souterraines, peuvent atteindre 28 °C en été, une douceur qui attire baigneurs et contemplatifs depuis des générations. Les Romains, déjà, s’y étaient installés, traçant des voies et édifiant des villas dont il ne reste que des vestiges. Plus tard, au
XIXe siècle, les premiers touristes, venus de Chambéry ou de Lyon, y découvrirent un coin de paradis et y firent bâtir des maisons de villégiature, discrètes et élégantes, dissimulées sous les frondaisons.
Aujourd’hui, cette discrétion persiste. Pas de grands hôtels ni de casinos, mais des ports de bois modestes, des plages de galets et des sentiers sinueux entre noyers et frênes. On croise parfois un pêcheur, assis sur un rocher, la ligne à la main, ou un kayakiste s’éloignant en silence vers le large. Ici, on ne se hâte pas. On prend le temps de s’asseoir sur un banc, d’observer les libellules frôler l’eau ou d’écouter le vent murmurer dans les feuilles.
L’appel de l’eau et des sentiers
Difficile de résister à l’envie de plonger. L’eau, claire et presque transparente, invite à la baignade dès les premiers rayons de soleil. La plage de Lépin-le-Lac, avec ses pelouses ombragées et son ponton, constitue un lieu idéal pour les familles. Plus au sud, vers Nances, les berges, plus sauvages, se prêtent aux pique-niques improvisés ou aux siestes ensoleillées. Les plus aventureux louent un paddle ou un canoë pour explorer les criques secrètes, là où les roseaux forment des rideaux naturels.
Le lac se découvre aussi à pied. Le sentier qui en fait le tour, long d’une dizaine de kilomètres, est une pure merveille. On y chemine entre ombre et lumière, sous les branches des hêtres et des sapins, avec toujours, entre les arbres, des éclats de bleu rappelant la présence de l’eau. Par endroits, le chemin se rapproche du rivage, et l’on perçoit alors le doux clapotis des vagues contre les rochers. À l’automne, les couleurs s’embrasent : les érables deviennent écarlates, les fougères dorées, tandis que le lac prend des teintes d’émeraude.
Une nature préservée, presque secrète
Ce qui frappe à Aiguebelette, c’est cette impression de nature intacte. Classé en zone Natura 2000, le lac abrite une faune et une flore protégées. Hérons cendrés, castors et même chevreuils, venant boire au crépuscule, peuplant ses rives. Les pêcheurs, eux, savent que ses eaux abritent ombles chevaliers, truites et brochets, mais la pêche y est strictement réglementée pour préserver l’équilibre écologique.
Les habitants, attachés à leur lac, en parlent avec fierté, évoquant ses « humeurs » et ses « couleurs » changeantes au gré des saisons et de la lumière. En hiver, lorsque le brouillard voile sa surface, il prend des allures mystérieuses. Au printemps, les cerisiers en fleurs sur les collines environnantes lui donnent des airs de tableau japonais. Et en été, quand le soleil est à son zénith, il se transforme en un havre de fraîcheur où l’on vient se ressourcer.
Autour du lac, des escapades à savourer
Le lac d’Aiguebelette ne se suffit pas à lui-même. À quelques kilomètres, les villages de Saint-Alban-de-Montbel ou de La Motte-Servolex proposent des haltes gourmandes. On s’y arrête pour déguster les spécialités locales : une tartiflette onctueuse, une fondue généreuse ou une tarte aux myrtilles cueillies dans les sous-bois. Les marchés regorgent de fromages de chèvre, de charcuterie fumée et de miel des Bauges.
Plus loin, Chambéry, avec son centre historique et son château des Ducs de Savoie, mérite le détour. Quant aux amateurs de défis, les montagnes des Bauges, toutes proches, offrent des randonnées plus sportives, récompensées par des panoramas à couper le souffle.
Pourquoi venir à Aiguebelette ?
Peut-être pour cette sensation rare, aujourd’hui, de se sentir presque seul au monde. Peut-être pour ces paysages qui se transforment à chaque instant, selon la lumière. Peut-être pour son eau tiède et cristalline, ses sentiers ombragés ou ce silence seulement rompu par le chant des oiseaux. Ou tout simplement pour le plaisir de s’asseoir sur un rocher, les pieds dans l’eau, et de regarder les nuages glisser à sa surface.
Ici, on ne vient pas pour « faire » des activités à tout prix, mais pour être. Pour se laisser bercer par le rythme lent des vagues, par la douceur du climat et par la beauté discrète, mais tenace, de ce coin de Savoie. Et quand l’heure du départ sonne, on emporte avec soi un peu de cette sérénité… ainsi que l’envie, déjà, d’y revenir.