On l’aperçoit d’abord comme une étendue sans fin, une touche de bleu posée entre les montagnes. Le lac de Serre-Ponçon, à cheval sur les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence, n’est pas un lac ordinaire. C’est une mer intérieure, un espace où l’eau et la roche semblent dialoguer, où le vent sculpte des vagues sur un plan d’eau long de vingt kilomètres. Ici, point de frénésie touristique, mais une douceur minérale, une lumière vive qui danse sur les flots et les falaises ocre.
L’eau qui a métamorphosé les Alpes
Il y a soixante ans, la Durance courait encore libre, tantôt bienfaitrice, tantôt dévastatrice. Sa domestication a donné naissance à ce géant artificiel, l’un des plus vastes lacs de barrage d’Europe occidentale. Certains murmurent que les villages engloutis hantent encore ses profondeurs. À Savines-le-Lac, l’ancienne église, démontée pierre par pierre avant la mise en eau, a été reconstruite plus haut, comme un symbole. Les anciens se souviennent des étés où, lors des basses eaux, réapparaissaient les murs des maisons disparues. Aujourd’hui, c’est une nouvelle histoire qui s’écrit : celle d’un territoire renaissant, où les berges abritent désormais des plages de galets, des ports animés et des sentiers parfumés de lavande et de genièvre.
Une lumière qui transforme les paysages
Au petit matin, la brume enveloppe les crêtes avant de se dissoudre dans l’air pur. Le soleil, déjà haut, embrase la surface du lac, y allumant des milliers d’éclats mouvants. Assis sur un rocher près de Chorges ou de Rousset, on observe les voiliers glisser en silence. L’après-midi, le vent se lève, ridant l’eau de vagues courtes qui viennent mourir contre les coques. Plus haut, les parapentistes s’élancent des sommets de Saint-Apollinaire, planant au-dessus du lac tels des oiseaux géants. Le soir, les montagnes s’embrasent de rose et d’orange, tandis que l’eau, devenue miroir, reflète chaque teinte avec une précision saisissante.
Vivre au rythme des flots
Ici, on prend son temps. On loue un paddle ou un kayak à la base nautique de Savines et l’on part explorer les criques secrètes, là où les pins maritimes trempent leurs racines dans l’eau fraîche. On s’arrête pour pique-niquer sur une plage de galets, avec du fromage de chèvre local et des figues encore gorgées de soleil. Les plus intrépides enfourchent leur VTT pour gravir les sentiers en balcon qui dominent le lac, récompensés par des panoramas à couper le souffle. Et puis, il y a ces petits restaurants de bord d’eau, où l’on déguste une truite fraîchement pêchée ou une daube provençale, les pieds dans le sable, bercé par le clapotis des vagues.
Des villages chargés d’histoire
Autour du lac, les villages ont conservé leur âme. Embrun, surnommée la « Nice des Alpes », veille sur les eaux avec sa cathédrale romane et ses ruelles ombragées. À Boscodon, l’abbaye du XIIe siècle se dresse, silencieuse, au cœur des forêts. Plus haut, des hameaux comme Crots ou Réallon semblent figés hors du temps. On y croise des artisans, des éleveurs au parler chantant, gardiens d’un patrimoine vivant. Le marché d’Embrun, chaque samedi matin, est une explosion de couleurs et de parfums : miel doré, olives noires, tapenades généreuses et tomates gorgées de soleil y rivalisent de saveurs.
Un territoire à explorer sans limites
Le lac de Serre-Ponçon n’est qu’un début. À une heure de route, le parc des Écrins déploie ses sommets enneigés, ses glaciers étincelants et ses alpages où tintent les clochettes des troupeaux. Plus au sud, Sisteron et sa citadelle imposante dominent la vallée de la Durance, tandis que Gap surprend par son mélange d’authenticité et de modernité. Sans oublier ces routes sinueuses qui mènent vers l’Ubaye ou le Queyras, des vallées sauvages où l’on se croit au bout du monde.
Pourquoi venir ?
Pour l’espace, d’abord, celui qui permet de respirer profondément, de marcher des heures sans rencontrer personne. Pour cette lumière unique, aussi, qui cisèle les paysages avec une netteté presque graphique. Pour l’eau, enfin, cette présence apaisante qui invite à la rêverie comme à l’aventure. Serre-Ponçon n’est pas qu’un décor : c’est un lieu vivant, un territoire où l’on vient pour se perdre… et mieux se retrouver.
On en repart les yeux pleins d’images : le reflet des montagnes sur l’eau lisse au petit matin, le murmure des vagues contre les rochers, le goût du pain grillé trempé dans l’huile d’olive locale. Et cette certitude, tenace, qu’il faudra revenir.