Le 23 janvier 2019, j’étais à Ushuaia, dans le Parc national de la Terre de Feu. J’attendais la camionnette qui devait me ramener à la ville, bien après les bus de voyages organisés et bien avant les retours des trekkers.
J’étais seule, accoudée à la balustrade à contempler le lac. Un gros oiseau survolait la grosse bâtisse dans mon dos.
Un autre, beaucoup plus petit, se posa à côté de moi et jacassa à mes oreilles pendant un long moment. Je quittai les lieux avant lui.
Hors champ, des yeux humains regardent l’oiseau.
Un corps appuyé sur la balustrade en branche a vu un grand rapace se poser sur le toit du centro turistico. Un humain est seul dehors. Le centro turistico résonne d’éclats de langue qui ne se mêlent pas. Il y fait chaud, bruyant. Pourtant les visiteurs sont plutôt âgés, installés devant un thé ou un café ou alignés dans la queue pour les toilettes. Ils sont en groupe ou en couple. Ils sont bavards, curieux de la boutique. Ils sont au bout du monde. Les touristes jeunes sont ailleurs, ils randonnent, ils grimpent, ils trekent, dans des uniformes North Face. L’oiseau qui tournicote sur le toits ne les voit pas, ne les entend pas. Il regarde quelque chose de précis. La personne accoudée au parapet en branches suit du regard la quête de l’oiseau de proie.
Immobile, elle laisse errer ses yeux du toit à l’eau du lac qui tapote la berge à ses pieds.
Alors un jeune oiseau se pose juste à côté, sur la branche du parapet. Puis il s’écarte de quelques petits bonds. Il pose un regard curieux sur la forme immobile qui partage son perchoir. Ils échangent des clins d’œil furtifs, intrigués. Puis l’oiseau se met à parler. Il émet avec véhémence des sons répétés qu’il finit par moduler, comme s’il reprochait à la forme voisine son incompréhension. Et son silence. Pourtant l’humain n’ose pas prendre la parole, de peur de voir l’oiseau s’envoler.
Doucement, sa main se glisse dans sa poche et en extrait son téléphone. Les gestes se réduisent au minimum, lents, serrés le long du corps. Clac, photo. Le regard humain a dû s’attarder sur l’oiseau qui a continué son babillage sans montrer le moindre signe d’inquiétude ni de contrariété. C’est rassurant, photo, photo. Le jeune rapace se rapproche, presque à toucher la main devenue immobile. Il reprend son bavardage. Les rides de curiosité sont remplacées par un sourire discret, toujours pour nee pas effaroucher un animal pourtant amical. Les langages n’interfèrent pas, vraiment pas. Bonjour l’oiseau, j’ai vu ta mère, ou ton père, là-haut. Cak cak kek kek pok pok pok. Tu es encore un enfant oiseau, un enfant de l’air. Je garde les pieds sur terre. Caaaak, kek, caaak, pou pou.
Verticalité du corps accroché au sol, vrillé à son besoin d’équilibre, rassuré par ses coudes sur leur appui de bois, pesant sur ses semelles à plat sur la terre. Suspension de l’oiseau, accroché par ses serres au poteau, équilibré par ses battements d’ailes.
L’enfant oiseau semble hésiter quand l’humain lui dit “au revoir, je prends le bus”, il secoue ses ailes, tourne sa tête à 90° puis reporte son regard vers le lac en continuant son bavardage.
Fin de l’histoire, l’oiseau sort de la photo.
Marie-Françoise Govin